KABANE77 ressuscite une friche hors des sentiers battus

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Le collectif KABANE77 (K77) propose de transformer un ancien entrepôt industriel, abandonné depuis une vingtaine d’années, en "laboratoire de pratiques expérimentales à la fois artistiques et sociales". Les initiatives vont déjà bon train sur ce lot du Mile-End en attente de programmation officielle, tandis que son propriétaire, la Ville de Montréal, n’a toujours pas communiqué sur ses intentions. K77 est revenu sur les enjeux qui entourent la parcelle. Entretien.

Quelles sont les aspirations du projet KABANE77, les valeurs qu’il promeut ?
KABANE77 est une alliance entre la résistance et la mobilité pour contrer les effets dévastateurs de la gentrification d’un quartier que nous avons bâti, habité, cultivé, nourri et réanimé. Nous voyons autre chose que la logique marchande qui s’immisce dans tous les recoins. K77 ne s’intègre pas à la vie locale, elle est la vie locale authentique transcendée par la volonté d’action de groupe qui crée de nouvelles manières de faire en dehors de la marchandisation de la culture. C’est une place de production de sens contre l’insensé municipal. L’idéal visé par ses membres est d’habiter un lieu où vivre est permis. Nous pensons que la réalisation d’une vision de société articulée ainsi est une réponse nécessaire à celle qui domine, où tout – et la culture n’y fait pas exception – est vu sous l’angle lucratif.
Les événements de K77 sont un incontournable pour les gens du quartier et de Montréal, de passage ou non, qui semblent avoir pris goût à l’esprit de liberté contagieux qui se dégage même sans événement extérieur.

Le projet est né hors des protocoles officiels de la Ville de Montréal. Quelle relation entretenez-vous avec la municipalité ?
L’intérieur n’est pas encore ouvert officiellement par la Ville, qui préfère plutôt sous-traiter à des groupes nouveau genre des consultations aux feuilles de route et conclusions tracées à l’avance. La relation avec la Ville se fait par des intermédiaires qui nous transmettent un monologue nous disant depuis nos débuts : "soyez raisonnables, il n’y a rien à faire". Le bâtiment lui, ne perd pas de temps pour se dégrader. Deux arbres le frottent, l’abîment.
Nous souhaitons pourtant avoir une relation transparente avec les élu(e)s. Depuis plus de cinq ans, après maintes consultations citoyennes et réunions, après avoir demandé des permis d’événements et vécu dans les paradoxes de gestion urbaine, nous en sommes au point où nos efforts s’orientent vers la mobilité et la résistance à la fois. Il y a environ un an et demi, la Ville-centre a cédé le lot du 77, Bernard Est à l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal qui a procédé au changement de zonage industriel, pour le zonage "parc". Depuis, d’autres experts ont été engagés. Ils proposeront probablement des solutions propres. Des solutions d’experts, les leurs.

L’été dernier, la Ville de Montréal a intégré dans son Plan d’action en patrimoine la notion d’urbanisme transitoire. Une autre mesure, visant à réduire le taux d’inoccupation des bâtiments patrimoniaux, a également été intégrée dans la Stratégie centre-ville. Ces deux dispositifs rendent-ils les initiatives telles que les vôtres plus faciles ?
Nous attendons du nouveau depuis, toujours sans réponse claire. Nous avons hâte, et certain(e)s parmi nous sont ravi(e)s d’entrevoir les possibilités d’Entremise (cf. p. ?) que la Ville a embauché pour travailler sur la requalification du 77, Bernard Est. Mais rien n’a changé pour le moment. Il semblerait commode pour la Ville que l’usage du bâtiment soit transitoire, il serait probablement plus facile de le récupérer ensuite après l’avoir laissé à l’abandon comme l’administration précédente. Nous n’avons rien contre l’urbanisme transitoire, mais nous cherchons plutôt à fonder quelque chose de durable et pérenne. Nous regrettons, par ailleurs, l’absence de solution à l’embourgeoisement, à la gentrification. Pour le moment, nous avons un projet en friche et la politique politicienne suit son court politicien. Ce genre de critique nous aura rapidement fait passer pour négatifs, voir pour les ennemis.
Or, l’impression que nous avons, c’est que des professionnels de l’architecture, de l’urbanisme et du design s’affairent déjà à s’approprier nos projets qui sortent du cadre, à croire qu’ils sont les seuls à pouvoir les faire naître. Mais sont-ils vraiment les seuls à connaître le langage de la programmation fonctionnelle et de la planification urbaine officielle lorsqu’on en traduit les mots ?
Et nous lisons dans les feuillets du pouvoir que notre projet "K77" s’y appelle "77B", pour éviter qu’on les mélange, pour qu’on oublie déjà ce que l’on aura fait naître.

Urbanisme transitoire, placemaking… Les administrations ont adopté ces termes. Le signe d’un futur plus flexible ou le risque de voir l’éphémère se standardiser ?
Nous avons participé récemment à une conférence à laquelle étaient invitées deux organisatrices des Grands Voisins. Il a été frappant de les entendre raconter comment, depuis la fin de leur bail, ils sont submergés d’appels de municipalités souhaitant reproduire le succès de leur projet. Et donc de parachuter une recette sur un lieu abandonné ou en voie de l’être plutôt qu’être à l’écoute des initiatives locales. Nous pensons qu’il faut distinguer besoins et économie. Les deux ne sont pas nécessairement liés.
Le terme placemaking est noble. Déjà qu’il n’est ni à droite ni à gauche, il répond à sa première fonction. Celle de ne rien trop déranger. On l’aura vendu aux francophones et aux Français facilement vu qu’il est pratiquement intraduisible en plus court.
Nous l’avons utilisé pour ce qu’il implique de reprise en commun de l’espace collectif. Mais on y parle trop souvent de parcs polis, de coins de rues. L’architecture révolutionnaire et l’urbanisme unitaire seraient probablement plus à propos, sitôt qu’on les considère dans leurs aspects non pas formels ou figés mais bien à l’image de ceux et celles qui s’unissent pour les créer.
Nous continuerons donc de revendiquer le terme placemaking pour qu’on comprenne au moins un mot de ce que nous racontons, il cadre au moins avec la place publique que nous avons fait naître, la "Place des impossibles".

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Traits Urbains n°130/131 vient de paraître !

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