A l’occasion du sommet Afrique-France qui proposera, en 2020, plusieurs calendriers culturels, scientifiques, politiques et économiques, retour sur les enjeux de la ville durable africaine, soulevés par Urbanistes sans frontières lors d’une première assemblée préparatoire.
"Au Nigéria, la ville de Lagos recense 77 nouveaux habitants par heure", affirme Stéphanie Rivoal. A l’occasion du sommet France-Afrique 2020, l’ambassadrice de France en Ouganda se fait ambassadrice en France d’un autre regard sur l’Afrique. Derrière ce chiffre, 77 nouveaux urbains qui participent à la mutation d’un continent encore fondamentalement rural. Mais aussi 77 personnes en quête d’un nouvel Eldorado, où la vie cependant coûte 30 % plus cher qu’ailleurs.
Lors d’une cérémonie de préparation tenue le 14 mai dernier à l’Assemblée nationale, François Albert Amichia, ministre de la Ville de Côte d’Ivoire, signalait la même urgence à agir en dressant le portrait de villes aussi ambitieuses qu’incapables de métaboliser les derniers arrivants. Ce qui contribue à perpétuer le phénomène trop bien connu des bidonvilles, de l’apparition d’économies parallèles et de la parthénogenèse de métropoles destructurées. En atteste Nairobi, luxuriante capitale kenyane ponctuée de gratte-ciels et de jardins dont le triste revers, le bidonville de Kibéra, a compté jusqu’à 1 million d’habitants selon plusieurs ONG. Ces dernières estiment que 60 % de la population urbaine d’Afrique réside dans des quartiers précaires, ou des bidonvilles.
USF à la manœuvre
Or les statistiques onusiennes promettent à Lagos, comme à toutes les métropoles et embryons de métropoles du continent, une évolution rapide et un exode rural massif. Elles qui comptent aujourd’hui quelque 500 millions d’habitants, en abriteront plus d’un milliard en 2040. "Le potentiel d’urbanisation de l’Afrique est plus fort qu’il ne l’a jamais été en Europe", déclare Stéphanie Rivoal. "Sa croissance démographique, inédite, soulève de grandes perspectives, de nombreux défis aussi. Accessibilité, innovation, développement durable… Ce doivent être là nos priorités face aux enjeux socio-économiques, climatiques et environnementaux", affirme l’ambassadrice.
A ces vastes problématiques, l’ONG Urbanistes sans frontières (USF) répond par le programme "Afrique villes durables" (AVD) qui vise à renforcer l’expertise publique et privée liée aux problèmes d’urbanisation, en collaboration avec plusieurs pays d’Afrique. Le programme AVD se développe par le biais d’une "plateforme d’intelligence collective" réunissant les acteurs de la ville et de l’aménagement des territoires. Dès 2020, son ambition est de proposer des pistes d’actions réfléchies et travaillées avec les acteurs africains : professionnels, chercheurs, experts, élus, entrepreneurs, représentants des associations locales… Dans cette perspective, six groupes de travail ont été constitués par l’ONG afin de couvrir les thèmes majeurs de la ville durable en Afrique. Des forums, des ateliers et des rencontres sont prévus dans chacune des cinq régions que réunit le continent.
Une affaire d’opportunités
L’objectif du sommet Afrique-France 2020 – annoncé par Emmanuel Macron depuis Ouagadougou (Burkina-Faso) en 2017 – est toutefois bien plus vaste. Derrières les échanges culturels, les concerts, partenariats scientifiques et gastronomiques, la France est très consciente des enjeux que représentent les économies africaines, et espère bien se positionner auprès d’elles comme un partenaire privilégié. "Nous avons d’excellents ingénieurs", déclarait Stéphanie Rivoal à ce sujet, "nous disposons d’un savoir-faire certain, et nos infrastructures sont qualitatives. Mais nous avons également d’importants défauts : nos processus sont lents et manquent de souplesse". Le Vieux continent a donc tout intérêt à s’inscrire dans un plein esprit de coopération. Quant aux Etats d’Afrique, ils comptent bien se saisir des oreilles attentives qui leur seront présentées pour investir pleinement leur rôle sur la scène internationale.
L’Afrique en grand
Dans le cadre de ces échanges de compétences, les problématiques urbaines traitées par le programme AVD concerneront en priorité l’accompagnement des flux de population, la gestion du foncier, ou encore l’établissement d’un cadre juridique effectif, et non la création de nouvelles infrastructures. Avant de construire, il s’agira de créer les conditions nécessaires au bien construire. "Pour cela", explique Aliou Ciss, maire de Diass au Sénégal, "il faudra faire en sorte que les projets conditionnent les financements, et non l’inverse. Sur place, les maires fourmillent d’idées et les investisseurs étrangers sont nombreux, mais l’offre et la demande ne se rencontrent pas, parce que notre continent peine encore à séduire".
En cause, l’instabilité de certaines régions et des politiques à la fois étroites et dispersées. L’instauration d’un dialogue approfondi entre les différents acteurs, gouvernements centraux, secteur privé, investisseurs, bailleurs, et société civile, constituera donc une étape fondamentale. Entre harmonisation des politiques et décloisonnement des interventions d’urbanisme, Bruno Lotti, maire de Romainville (93), se charge de conclure : "pour aller de l’avant, l'Afrique doit cesser de penser en termes de micro-projets, et de micro-économies. L’Afrique doit voir grand, parce qu’elle n’a plus le temps".