Le gouvernement dévoile (enfin) sa stratégie pour le logement

Après des mois d’annonces dépareillées, Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, et Julien Denormandie, secrétaire d’Etat, ont présenté "à deux voix", mercredi 20 septembre, la très attendue stratégie pour le logement du gouvernement Macron.

Augmenter la construction pour les jeunes, lever les freins, libérer le foncier et raccourcir les procédures font partie des principaux objectifs,  car "notre politique du logement ne correspond pas suffisamment aux besoins de nos concitoyens", a affirmé le ministre Jacques Mézard, en préambule. Ainsi le logement est-il "encore trop souvent facteur de grandes inégalités avec des catégories de nos concitoyens qui sont particulièrement touchées, les jeunes, les ouvriers", a-t-il poursuivi.

Il a également insisté sur la méthode de concertation "inédite" effectuée auprès des acteurs du logement et de l’hébergement mais également des Français, qui a recueilli plus de 2 250 réponses. "Toutes les propositions ont été étudiées", a affirmé Julien Denormandie. En découle une stratégie élaborée sur trois piliers : construire plus, mieux et moins cher, répondre aux besoins de chacun et améliorer le cadre de vie.

Un choc fiscal

Afin de favoriser la construction de logements dans les zones où les besoins sont forts et d’inciter à vendre des terrains, le gouvernement a décidé de créer un abattement fiscal sur les plus-values immobilières résultant de la cession de terrains à bâtir ou de terrains bâtis en zones tendues, en cas de promesse de vente conclue avant fin 2020. "Cet abattement sera de 100 % pour la vente de terrains permettant de construire du logement social, de 85 % pour du logement intermédiaire, et de 70 % pour du logement libre", a précisé le secrétaire d’Etat.

Les entreprises pourront bénéficier du taux réduit d’imposition de 19 % sur les plus-values résultant de la cession de locaux professionnels ou de terrains à bâtir en vue de leur transformation en logements, et ce, dès le 1er janvier 2018. Les collectivités vont aussi bénéficier d’un dispositif d’intéressement financier à la construction de logements sur leur territoire, "pas encore arrêté, mais qui sera dévoilé lors de la Conférence nationale des territoires", en décembre.

PTZ et Pinel prolongés

Un temps évoquée, la large modification des deux aides publiques, le prêt à taux zéro (PTZ) octroyé aux ménages accédant à la propriété et l’avantage fiscal Pinel, consenti aux particuliers achetant un logement pour le louer, n’aura pas lieu. Au contraire. Elles ont été "prolongées pour quatre ans", mais "fléchées sur les endroits les plus utiles, pour construire plus vite en zones tendues et soutenir la revitalisation dans les zones détendues", a indiqué Julien Denormandie.

Ainsi, le dispositif Pinel sera recentré sur les zones A, Abis et B1 sur quatre ans. Le prêt à taux zéro pour l’achat d’un logement neuf ciblera les zones A, Abis et B1 sur la même période, avec une souplesse de transition sur la zone B2 durant l’année 2018. Et pour soutenir la revitalisation des secteurs détendus, notamment les villes moyennes, le PTZ pour l’achat d’un logement ancien à rénover sera recadré sur les zones B2 et C pour une durée de quatre ans.

Les aménageurs-lotisseurs (LCA-FFB) "regrettent fortement que l’analyse des zones de tension ne se fasse qu’au regard des niveaux de loyers et de prix et non du taux d’effort des ménages qui reste aussi important en zones dites détendues qu’en zones tendues", tandis qu’Alexandra François-Cuxac, présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI),  se dit "agréablement surprise de la présentation d’une véritable stratégie logement qui essaie de traiter une grande diversité de sujets complexes" et de la "modernité dans l’approche".

Tout en saluant un "cadre très positif" et "de vraies avancées sur des sujets importants",  la Fédération française du bâtiment (FFB) déplore la "brutale disparition du PTZ en zone C et du Pinel en zone B2, un signal très négatif".

Normes gelées et recours abusifs réduits

Toujours pour "débloquer" la construction, le gouvernement s’engage à stopper l’inflation normative et à simplifier les normes. Aucune nouvelle norme technique ne sera créée (sauf celles de sécurité) dans la construction durant le quinquennat, afin de "donner de la visibilité aux professionnels". Ces derniers pourront par ailleurs passer d’une logique de moyens à une logique de résultats lorsqu’ils construisent.

Cela veut dire, concrètement, que l’État ne devra plus dire aux professionnels tout ce qu’ils doivent faire, mais fixer des objectifs à atteindre. "Cela allègera le Code de la construction et permettra de stimuler l’innovation", assure le secrétaire d’Etat. Le niveau de résultat ne sera pas imposé. Le Conseil supérieur de la construction, qui réunit tous les professionnels de la filière, sera mandaté pour recenser les normes à simplifier et l’administration fera régulièrement un point d’étape.

Quant aux normes environnementales et énergétiques "déjà votées", notamment dans le cadre de la Loi de transition énergétique qui s’appliquera en 2020, elles seront mises en pratique.
Les normes relatives à l’accessibilité des bâtiments d’habitation collectifs et des maisons individuelles neufs pour les handicapés "évolueront", a assuré Julien Denormandie, qui travaille actuellement avec l’association des paralysés de France (APF) pour que "100 % des logements neufs soient désormais évolutifs", c’est à dire modifiables rapidement ; seuls "10 % resteront adaptés" au handicap.

Avec près de 30 000 logements bloqués à cause des recours, selon la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), le gouvernement a décidé de sévir. Les recours contre les permis de construire devront être "motivés dès leur dépôt", et les procédures abusives seront "davantage sanctionnées". Des mesures nouvelles seront prises pour "maîtriser la durée des procédures", notamment en "limitant la possibilité de déposer sans fin de nouveaux moyens de recours".

Enfin, pour relancer de grandes opérations d’urbanisme (seulement quinze sont en cours sur l’Hexagone), le gouvernement envisage de contractualiser des projets de partenariat État/Collectivités, via le projet partenarial d’aménagement (PPA), qui permettra "un pilotage, une conception et un partage partenarial entre l’État et les collectivités territoriales".

Les jeunes et étudiants pris en compte

Autre axe de ce plan logement : créer une offre de logement abordable pour tous les jeunes, notamment les étudiants,  qui dédient 48 % de leur budget pour se loger. Le gouvernement prévoit de construire 80 000 logements, dont 60 000 en PLS pour les étudiants dans le quinquennat et 20 000 en PLAI à destination des jeunes actifs.

Il va également proposer une "garantie à l’ensemble des étudiants locataires sans condition de ressources, pour tous les types de logements",  en étendant la garantie existante, Visale, financée par Action Logement. Un "bail mobilité de un à dix mois non renouvelable" sera par ailleurs créé, à destination des étudiants, des personnes en formation, en contrat d’apprentissage ou en stage,  pour lequel "aucun dépôt de garantie ne sera demandé", a précisé Julien Denormandie. Pour faciliter la colocation,  une clause de non-solidarité entre locataires est introduite dans le bail mobilité. Le bail numérique sera encouragé afin "de renforcer la connaissance des loyers".

Vers un bouleversement du modèle du logement social

Sur la question sensible des APL, Julien Denormandie a confirmé la baisse de cinq euros de son montant,  qui prendra effet au 1er octobre 2017. Elle sera également complétée par une baisse des APL de plus grande ampleur dans le secteur social. Une réforme qui sera incluse dans le projet de loi de finances de fin d’année. "Le problème, ce ne sont pas les APL mais les niveaux de loyersIl faut les contenir, dans le privé et dans le social : mais vous ne faites pas diminuer les loyers dans le privé du jour au lendemain",  a justifié le secrétaire d’Etat, qui s’en remet au "choc d’offre".

Mais dans le parc social, "on peut agir maintenant", a-t-il ajouté. Objectif affiché : aucun allocataire, ni locataire,  ne perdra un euro. "Nous proposons aux bailleurs sociaux d’améliorer leurs conditions de financement,  pas de les prélever,  mais d’améliorer leur gain et de leur dire : le gain additionnel que vous avez, on vous demande de le répercuter dans les baisses de loyer".
Cette modification dans le logement social devrait dégager 1,4 Md€ d’économies, a précisé Julien Denormandie,  ce qui équivaut à une diminution des aides de l’ordre de 50 € par mois pour chaque bénéficiaire. Pour compenser la baisse des loyers, le gouvernement prévoit ainsi le gel, pendant deux ans, le taux du Livret A (actuellement de 0,75 %) qui sert au financement de la construction des logements sociaux et un allongement de leur dette . "On n’est pas d’accord sur les chiffres avec les bailleurs, mais on va continuer à discuter", a assuré le secrétaire d’Etat.
Car l’objectif affiché par le gouvernement provoque un bras de fer avec le mouvement HLM. "Cette mécanique de baisse parallèle des APL et des loyers dans le parc social n’est pas soutenable et elle n’améliorera en rien le pouvoir d’achat des locataires bénéficiant de l’APL. Il s’agit d’une mesure dictée par la volonté de baisser les dépenses de l’État en s’attaquant aux plus faibles : les 2,2 millions de ménages logés en Hlm qui bénéficient de la solidarité nationale par l’intermédiaire de l’APL",  a réagi dans un communiqué l’Union sociale pour l’habitat (USH) qui fédère tous les bailleurs sociaux.

Selon eux,  la baisse des aides au logement pour les locataires du parc social mettrait par ailleurs en péril l’équilibre financier des organismes HLM, "engageant ainsi les garanties des collectivités locales". Le mouvement HLM en appelle solennellement au président de la République.

La CLCV constate pour sa part que les mesures annoncées "relèvent, au mieux de la naïveté, au pire de l’amateurisme". Il est urgent d’agir sur le parc privé, où les loyers continuent d’augmenter, estime l’association de consommateurs. "L’encadrement prévu par la loi Alur constitue un dispositif efficace", selon elle.

L’exécutif estime également que l’offre de logements sociaux est insuffisante pour répondre à la demande. "4,5 millions de ménages occupent un logement social. Chaque année, 10 000 biens sont vendus. Ce n’est rien", souligne Julien Denormandie. "Nous doublerons les ventes dès 2018 avec à terme un objectif de 40 000 par an grâce à la création d’une structure HLM dédiée,  chargée de racheter en bloc des immeubles de logements sociaux aux organismes HLM",  augmentant ainsi leurs fonds propres d’un à deux milliards d’euros supplémentaires,  détaille le gouvernement.

Cette semaine, la Cour des comptes a chiffré à environ 30 Md€ la différence entre les fonds propres et les emprunts des bailleurs sociaux. Enfin, estimant que "la situation des ménages dans le parc social n’était jamais réexaminée",  le gouvernement veut qu’elle le soit tous les six ans.

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