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« Vivre-ensemble », mais à quel prix ?
La crise du logement est sans cesse réduite à une question quantitative : trop peu nombreux, trop chers et trop petits. Pourtant, jamais il n’y a eu autant de logements aussi grands et par habitant. C’est le rapport que chacun entretient désormais avec l’espace qu’il habite qui a changé et qui rend obsolètes les critères trop exclusivement quantitatifs. Un logement était autrefois beaucoup plus partagé : on avait plus d’enfants, différentes générations vivaient sous un même toit et on le partageait souvent avec des personnes hors du cercle familial – apprentis, confrères ou employés. On vivait surtout dehors – et pas seulement à la campagne – parfois parce qu’il y faisait plus chaud que dedans et sans doute aussi pour échapper à la promiscuité. Dans l’espace public comme chez soi, on partageait. On pourrait dire que l’on n’était pas vraiment chez soi dans sa maison et que, dehors, on se sentait un peu chez soi !
L’habitat bourgeois a depuis circonscrit l’intimité domestique, refermant le logement sur la cellule familiale, au point que le terme cellule est devenu une synecdoque : on emploie ce terme pour parler d’un appartement. Tant qu’il y a assez de place pour tous, cette évolution sociologique n’engendre pas de crise. Mais lorsque l’offre ne répond plus à la demande, faut-il faciliter la fluidité résidentielle, construire toujours davantage ? Et si l’on commençait par mutualiser certains espaces exigeant moins d’intimité – jouer, travailler, laver son linge – ou un usage exceptionnel – faire la fête, accueillir des amis. Après Godin et son familistère, Le Corbusier avait eu l’idée d’un espace privé mais partagé par tous les habitants sur le toit des Unités d’habitation. Ces lieux mutualisés sont assez répandus dans les pays scandinaves, en Suisse ou en Espagne, mais pourquoi y en a-t-il si peu en France ? La majorité d’entre eux n’auraient pas fonctionné et ont fini par être abandonnés ou privatisés. Les Français, ces champions de la clôture de jardin infranchissable, incorrigibles individualistes, seraient-ils incapables de vivre sereinement ensemble ?
Pourtant, des architectes persistent à proposer des lieux partagés dans les habitations collectives qu’ils conçoivent, une tendance que les promoteurs privés reprennent maintenant dans leur argument de vente. Les aspirations et les comportements des habitants auraient-ils changé ? Est-ce uniquement par nécessité face à l’exiguïté de leurs logements ou parce que les usages de ces espaces sont mieux encadrés ? Nous avons interrogé bailleurs et architectes sur la réussite ou l’échec de leurs expériences. Leur première leçon est qu’il ne suffit pas de créer un local commun et de penser qu’il fonctionnera tout seul. Sa conception, sa planification et son mode de fonctionnement doivent faire l’objet d’une étude préalable approfondie. Et sans gestion rigoureuse par les habitants ou un tiers, faire advenir ce « vivre-ensemble » – mantra auquel tout le monde aspire sans vouloir en payer le prix – restera un rêve d’architecte.
Emmanuel Caille
Sommaire :
Magazine :
7 > Le dessin de Martin Étienne
10 > PARCOURS
L’agence Mars, En même temps
20 > MALENTENDUS SUR L’ARCHITECTURE ET ABUS DE LANGAGE DE SES DISCIPLES
Corbu, Gromort et l’Art et essai
22 > RAZZLE DAZZLE
Megalopolis, rêve de ville
28 > QUESTION PRO
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32 > PHOTOGRAPHIE
Abelardo Morell, écrire avec la lumière
40 > LE GRAND ENTRETIEN
Patrimoine émotionnel, entretien avec Eva Prats et Ricardo Flores, Flores i Prats arquitectes
50 > CONCOURS
Concours pour la rénovation et l’extension du musée de la Tapisserie de Bayeux
Dossier :
ESPACES PARTAGÉS, ESPACES FRAGILES
62 > Espaces partagés, espaces fragiles
69 > Entretien avec Christian Moley
72 > « La définition de ces espaces partagés n’est pas figée, ils vont nécessairement évoluer avec le temps », entretien avec Plan Común
78 > « Le commun ne peut pas se faire sans le sens social et sans être porté par ceux qui vont le faire vivre », entretien avec Rabia Enckell, agence Courtoisie Urbaine
81 > « J’essaye de faire en sorte que l’architecture construise l’idée du partage », entretien avec Sophie Delhay
85 > La mutualisation comme palliatif à la ville dense dans la ZAC Clichy-Batignolles, Paris 17e
88 > Une salle partagée sur le toit à Nantes
90 > Une terrasse collective meublée à Paris, 14e
92 > Des espaces partagés à tous les étages au Bled à Lausanne, Suisse
98 > Stratégie de soustraction à Sant Boi de Llobregat, Espagne
Réalisations :
104 > ATELIER MARC BARANI
Tribunal de grande instance, Aix-en-Provence
116 > KGDVS
Bibliothèque, Laethem-Saint-Martin, Belgique
Guides :
124 > D’A LAB
Une quête d’essentiel
129 > TECHNIQUES
Quoi de neuf en menuiserie intérieure ?
Portes, plinthes, stores, claustras, panneaux sculptés, boîtes aux lettres…
144 > Les nouveautés techniques et poétiques de Light & Building 2024
147 > AGENDA
154 > QUÈZACO ?
Mais qu’est-ce donc ?
Ont participé à ce numéro : Coraline Blaise, Tristan Cuisinier, Christine Desmoulins, Lorenzo Diez, Nayla Daou-Lévi, Martin Étienne, Anne Frémy, Emma Lesieur, Thierry Meunier, Natalia Petkova, Maryse Quinton, Richard Scoffier, Xiral Segard, Mehdi Zannad
> Prochain numéro de d’architectures, n° 316, mai 2024